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Comment mettre en place une politique publique de la donnée: des enjeux stratégiques aux démarches opérationnelles

Nicolas Installé, directeur exécutif FuturoCité

 

Depuis quelques années, l’actualité met les données au devant de la scène. Leur volume explose en raison du développement des technologies numériques, de la multiplication des outils technologiques et de l’inflation des usages numériques. On parle de « big data », d’« open data » ou de « smart data ».

Mais même si les technologies et leur évolution exponentielle, ainsi que les données sur lesquelles elles reposent, participent à la construction d’un territoire dit « intelligent », rendre une ville Smart nécessite plus que de la technologie ! Cette dernière reste un outil permettant de transformer nos territoires, de participer au développement économique et sociétal local, pour le bénéfice des entreprises et des citoyens.

Si la donnée est ainsi au cœur des nouveaux enjeux des territoires, il ne s’agit pas d’un sujet en soi, complètement isolé du reste. Au contraire, elle s’inscrit dans le cadre plus global d’une politique publique tournée autour du citoyen et du développement économique d’un territoire. Or, les enjeux liés à la donnée publique ne se limitent pas à son ouverture et nécessitent la mise en œuvre d’une gouvernance et la conception d’une véritable planification stratégique, intégrée et globale.

 

Mais finalement, qu’est-ce qu’une donnée et à quoi sert-elle ?

La donnée est un élément brut, qui n’a pas encore été interprété, mis en contexte.

Elle peut revêtir différentes formes : note, post-it, relevé de capteurs, photo, formulaire de saisie, rapport, coordonnée GPS, carte, vidéo, … Elle est numérique lorsqu’elle est lue et traitée par un support informatique. Elle peut être ouverte, partagée, mais entre un nombre limité de personnes, ou fermée.

Les données sont « publiques » lorsqu’elles sont produites ou collectées ou reçues par l’Etat, une collectivité territoriale, un organe parapublic ou un délégataire dans le cadre de ses activités de service public.

Aujourd’hui promue par l’Union Européenne, de nombreux Etats et collectivités, l’ouverture des données répond à un enjeu d’accès à l’information pour les citoyens et les professionnels, de développement de nouveaux services, de transparence démocratique et d’implication des citoyens dans la conception des services (co-développement), de transversalité dans les services publics. L’ouverture des données est ainsi un élément essentiel d’une politique de la donnée publique pour les communes.

 

Le contexte belge et wallon

L’Europe s’est dotée en 2013 d’une feuille de route sur les données publiques à travers la directive « Public Sector Information ». Ce texte a été repris dans le cadre de la stratégie fédérale belge sur l’ouverture des données qui affirme l’ouverture et la réutilisation des données comme règles tout en portant attention à la protection des données personnelles. La loi fédérale du 4 mai 2016 a transposé les dispositions européennes. Le décret conjoint de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles du 12 juillet 2017 donne le signal de départ officiel pour la mise à disposition des données issues des secteurs régionaux, communautaires et locaux pour tous.  Un arrêté d’exécution est attendu.

Depuis lors, l’open data a connu une croissance forte en Belgique. Plus de 10 000 jeux de données sont aujourd’hui disponibles sur data.gov.be et plus de 400 jeux sur le portail wallon www.odwb.be.

 

Quels sont les enjeux de la donnée pour ma commune ?

La donnée est encore perçue par les décideurs locaux comme un domaine technique limité à l’informatique et quelque peu ésotérique. Pourtant, la construction d’un territoire Smart nécessite de se pencher sur ces données, aujourd’hui au cœur de la constitution d’un nouveau patrimoine, le patrimoine immatériel, véritable jumeau du patrimoine physique. Et les enjeux sont considérables pour les collectivités : conception de nouveaux services, propriété de la donnée, collaboration ou non avec les grands acteurs du numérique, souveraineté territoriale, … Loin d’être un domaine purement technique, la donnée publique impacte directement les politiques publiques et l’offre de services des territoires. Bien gérée, elle est même source de développement économique et sociétal local, pour le bénéfice des entreprises et des citoyens.

Cet enjeu, stratégique, organisationnel, technologique et bien entendu économique, est au cœur du développement et de la transformation future des territoires, quelle que soit leur taille.

La donnée a une valeur, qui peut être interprétée à l’égard d’un actif stratégique. Elle devient une source précieuse, puisque rare, à pouvoir être exploitée. Attention toutefois à ne pas en surestimer l’importance. En effet, les données ne remplacent pas les services, mais contribuent à leur conception et à leur exploitation. Elles demeurent fragiles et inutilisables si elles ne sont pas rafraîchies ou pas supportées par des systèmes techniques et une infrastructure performants.

Enfin, la donnée n’a de valeur que si l’on met en place une gouvernance autour d’elle. Par exemple, derrière l’ouverture des données se cachent des sujets de transformation en profondeur de l’administration. On va casser les silos, impliquer les citoyens, être plus transparents, établir des partenariats, faire de la coproduction avec les citoyens, … Tout cela ne se fait pas du jour au lendemain, le processus est long … mais réalisable ! A condition de ne pas être improvisé. A contrario, sans gouvernance de ses données, les risques sont grands de développer des problèmes d’interopérabilité, de disposer d’informations incomplètes, d’offrir des services peu efficients, de faire face à des surcoûts ou de ne pouvoir prendre les bonnes décisions au bon moment.

 

Comment mettre en œuvre une politique publique de la donnée pour ma commune ?

Il n’y a pas de réponse universelle à cette question : chaque commune est différente, avec ses propres ambitions, ses propres moyens et ses propres réalités locales. S’il n’est pas possible de donner une feuille de route unique et parfaite pour toutes les communes wallonnes, il est toutefois possible de donner des pistes afin que chaque commune puisse établir sa propre feuille de route sur base de ses spécificités.

Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une démarche transversale (technique, juridique, organisationnelle et communicationnelle), collaborative et évolutive (à construire avec l’ensemble des parties prenantes, internes et externes, de manière itérative et dans le temps), qui doit s’inscrire dans l’élaboration de la stratégie territoriale vers le digital.

Nous proposons ensuite de suivre 6 étapes clés pour engager sa commune dans une politique publique autour de la donnée :

  1.  Initialiser et faire valider la démarche : sensibiliser les décideurs publics et officialiser le lancement de l’initiative par une décision (adoption d’une délibération de principe). L’implication des élus comme animateurs du territoire est une condition du succès du projet !
  2. Définir la stratégie d’ouverture : clarifier les orientations et aligner les intentions. Quels sont les enjeux et les bénéfices recherchés ? Quelles sont les données à ouvrir ? Comment mettre à disposition les données ?
  3. Organiser la démarche en mode projet : affecter les moyens humains, techniques, financiers et organisationnels au projet. Ne pas oublier d’accompagner l’ensemble des acteurs internes à la commune et externes pour les sensibiliser à la culture et au management de la donnée.
  4. Recenser, préparer et publier les données : réaliser un inventaire des données et définir le périmètre des données à ouvrir, contrôler la qualité, consolider les données dans des formats ouverts et les anonymiser si nécessaire, documenter les données pour faciliter leur compréhension et leur usage en renseignant les métadonnées, publier les données sur la plateforme prévue dans le cadre de la stratégie d’ouverture et assurer leur mise à jour en fonction de la fréquence établie.
  5. Favoriser la réutilisation des données : mettre en place un processus d’animation, tant en interne qu’en externe, pour favoriser la réutilisation. Cela passe par de la sensibilisation, un accompagnement méthodologique, pouvoir montrer à quoi servent les données, …
  6. Fluidifier et faire évoluer les processus : passer en revue et améliorer les processus permettant de produire, de publier et de valoriser les données. Mais également développer de nouveaux services.

Pour aller plus loin, retrouvez ici les vidéos de l’atelier « Gouvernance de la donnée publique : Quels objectifs, quels enjeux, quels usages ?  » organisé en juin 2019.

Les communes ne sont évidemment pas seules pour réfléchir à la mise en place de leur politique publique de la donnée. A côté des services qui peuvent leur être offerts par le secteur privé ou, dans certains cas, par leur intercommunale de développement économique, il existe toute une série d’outils développés par les acteurs publics ou assimilés en Wallonie, dont FuturoCité. Voici quelques exemples d’animations, d’événements ou de ressources visant à sensibiliser les villes et communes, à opérationnaliser leurs démarches ou à valoriser les données publiques du territoire :

  • Le Tome 3 du Guide pratique du Smart City Institute intitulé « Nos territoires face aux données et à leur gouvernance », rédigé avec l’aide de Digital Wallonia et de FuturoCité
  • Les ateliers de FuturoCité visant à initier une démarche de récolte, d’ouverture et d’exploitation des données par les villes et communes wallonnes. Des ateliers pour décideurs publics ont eu lieu en juin dernier, et des formations pratiques à l’Open Data seront organisées sous peu.
  • FuturoCité a publié en 2018 un baromètre de la Culture de la donnée dans les villes et comunes wallonnes. Un nouveau baromètre similaire est prévu en 2020.
  • Le portail ODWB est à disposition des villes et communes wallonnes qui ne souhaiteraient pas investir dans leur propre plateforme de publication de données ouvertes.
  • Enfin, FuturoCité organise des événements créatifs dont le but est de stimuler la création et l’innovation dans les thématiques prioritaires Smart Région, en se focalisant sur l’activation des données publiques et la création de micro-services. A-côté du traditionnel hackathon Citizens of Wallonia, FuturoCité souhaire mettre en place, à l’automne 2020, un nouvel événement créatif (Hack your City) à destination des villes et communes.

 

 

 

Les enjeux juridiques de la gouvernance de la donnée: rester maître des données en amont, pour permettre l’open data en aval

Thomas Tombal, chercheur et doctorant à l’UNamur (NaDI / CRIDS)

 

Les applications et les projets exploitant des données publiques (ou autres), émanant de l’espace public, des acteurs publics, des citoyens, se multiplient.

Mais quels droits les acteurs publics ont-ils sur ces données, en ce compris celles dont ils sont à l’origine? Qui en est le “propriétaire”? Une cession, une collaboration, est-elle possible entre créateurs, auteurs, propriétaires et exploitants de données? Et à quelles conditions?

Les embûches légales et juridiques sont nombreuses et les acteurs ont tout intérêt à en prendre conscience en amont, avant même le déploiement d’un projet, afin de demeurer maître de leur destin et d’encadrer utilement les usages mais aussi afin d’éviter de bien mauvaises surprises, financières ou autres.

C’était là l’objet de l’exposé de Thomas Tombal, chercheur et doctorant à l’UNamur (instituts de recherche NaDI et CRIDS): rester maître des données en amont, en en précisant le cadre avec le fournisseur, afin de permettre l’utilisation des open data en aval.

Pour expliquer son propos, il choisissait plusieurs exemples désormais courants.

  • Déploiement de capteurs pour surveiller les consommations d’eau ou des fuites éventuelles, permettant à une municipalité de mieux gérer et planifier ses infrastructures, d’affiner ses processus de facturation…
    Mais est-ce l’opérateur privé, chargé de l’installation des capteurs, qui possède les droits sur les données? La commune devra-t-elle payer pour y avoir accès et/ou les utiliser alors qu’elle a déjà investi dans l’achat des capteurs?
  • Installation de caméras de comptage de véhicules dans un centre commercial. Ces données peuvent être utiles pour mieux comprendre la situation de la mobilité sur le territoire, pour adapter la stratégie d’attractivité touristique…
  • Arrivée d’un service de location de moyens de transport légers. Les données concernant les trajets, fréquences, profils d’utilisateurs… sont potentiellement une mine d’or pour adapter les aménagements de l’espace public.
  • Déploiement de lampadaires “intelligents” pour renforcer la sécurité et réaliser des économies d’énergie (éclairage).

Dans chaque cas, l’opérateur privé qui installe et gère l’infrastructure a un droit sur les données et aucune obligation d’en octroyer l’accès à la commune. Il faut dès lors le prévoir, en amont, par le biais d’une licence d’exploitation, en le stipulant dans l’appel d’offre, dans le contrat. Une fois cette exigence préalable clairement stipulée – et acceptée par l’opérateur privé -, l’acteur public a la possibilité d’octroyer au fournisseur une licence d’exploitation sur les données ou, en tout cas, sur certaines données (dont la nature précise et la finalité d’utilisation devront, elles aussi, être déterminées au préalable).

Si de telles dispositions ne sont pas prises en amont, les autorités publiques locales risquent essentiellement deux choses, estime Thomas Tombal. Primo, de devoir racheter les données et d’encourir des frais non négligeables. Deuzio, de n’avoir aucun droit sur les données et, dès lors, de ne pas avoir la possibilité d’en faire des données ouvertes, “ce qui serait une perte pour la collectivité en général.”

 

Les garde-fou incontournables

Quelle que soit l’origine, quel que soit le fournisseur des données, leur collecte par une variété croissante d’applications et de dispositifs fait immanquablement surgir la question du traitement de données à caractère personnel (plaques d’immatriculation, identité de la personne empruntant une trottinette en libre partage…).

Les règles du RGPD (Règlement général pour la Protection des Données) s’appliquent donc, avec obligation pour toute exploitation ou utilisation qui serait faite de ce type de données de respecter des contraintes de finalités “explicites et légitimes”, de pertinence et d’adéquation des données collectées.

Un exemple. Si le numéro de plaque d’immatriculation est par nature une donnée personnelle et ne peut donc être utilisé en tant que tel, la nationalité de la plaque, la région de provenance peut par contre servir à des fins d’analyse touristique, par exemple. La durée de conservation de la donnée, quant à elle, est soumise aux traditionnelles règles de durée nécessaire à la finalité poursuivie.

 

L’arrivée de la Directive PSI

En juillet 2021, une révision récente de la directive européenne PSI (Public Sector Information), visant la réutilisation des informations détenues par les administrations et collectivités territoriales des Etats-membres, sera obligatoirement transposée dans la législation belge.

Sont concernés, les Etats, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par un ou plusieurs collectivités ou organismes de droit public, ainsi que les entreprises publiques actives dans les domaines de l’énergie, des transports et des services postaux, dans le cadre de leurs missions de service public (non commerciales, donc).

La Directive PSI a pour but de favoriser la réutilisation, commerciale ou non, des données par une personne physique ou morale, à des fins autres que le service public initial.

Cela oblige les organismes concernés à faire en sorte que leurs données soient quasi-automatiquement réutilisables, en adoptant pour ce faire des formats “lisibles par une machine” ou, dans le cas de données dynamiques/temps réel, par le biais d’API (interface de programmation applicative).

Selon les dispositions de la loi transposant la directive, la réutilisation des données devrait être gratuite, avec possibilité d’imputer le coût de l’anonymisation des données au réutilisateur.

La réutilisation gratuite est même une obligation pure et simple pour les données dites à “forte valeur” ainsi que pour les données de recherche financées par le biais de fonds publics.

La notion de “forte valeur” fait référence à une “réutilisation associée à d’importantes retombées socio-économiques positives au niveau de la société, de l’environnement et de l’économie, ou des statistiques…” Des retombées elles-mêmes considérées comme “importantes” en raison du type de services ou applications à valeur ajoutée et du nombre de bénéficiaires potentiels de ces services et applications. Les domaines d’application concernées sont nombreux et variés: exploitation de données géospatiales, météorologiques, statistiques, de mobilité…

Chaque pays de l’Union européenne est en droit de définir la liste de ces “données à forte valeur”.

Autre contrainte imposée par la Directive PSI: l’interdiction de rendre les conditions de réutilisation discriminatoires ou de restreindre la concurrence.

 

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