Gouverner ses données pour mieux gouverner son territoire

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Article rédigé par FuturoCité et paru dans la revue Mouvement Communal de janvier 2020 éditée par l’Union des villes et communes wallonnes.

 

Smart City, Smart Village ou encore Smart Région sont des expressions que l’on entend de plus en plus. Mais au fond, qu’est-ce que cela signifie ? Il s’agit en fait des nombreuses formes que peuvent prendre ce que l’on appelle les « territoires intelligents », à savoir des territoires qui réussissent à collecter, à traiter et à partager l’information disponible pour améliorer leurs services publics, optimiser leurs coûts et dépenses et prendre des décisions de manière plus efficace.

Le but est d’améliorer, d’optimiser les processus, de rendre la cité (ou tout type de territoire supra-communal) et toutes ses composantes (infrastructure, acteurs, processus) efficaces, durables, résilientes, fiables, pertinentes, dans un contexte de vie harmonieux.

La méthode ? Cela passe par des concepts de collaboration, de libre échange (données, expertises, connaissances…) entre toutes les parties prenantes actives ou présentes sur un territoire donné : administration, citoyens, entreprises, associations, universités, centres de recherche…

La collecte, le partage, l’utilisation et l’“exploitation” (au sens vertueux du terme) de “l’information disponible” concerne tous les domaines qui sont du ressort de la cité ou du territoire : mobilité, citoyenneté, éducation, santé, finances, environnement… A mesure que les pratiques sociales, les comportements (privés, professionnels ou simplement humains) et les technologies évoluent, les sources d’informations disponibles se multiplient, se diversifient, se complexifient.

Ce qui est en jeu, ici, pour la construction et la gestion d’une ville ou d’un territoire “intelligent”, c’est la prise en compte de toutes les informations ou, tout au moins, d’un nombre et d’une diversité optimale d’informations, d’où qu’elles viennent, moyennant validation de leur qualité, intégrité, cohérence ou pertinence.

Or, ces sources et ces types d’informations vont en se diversifiant à l’heure du “tout-et-toujours-connecté”. Les services publics, les entreprises, les organes de recherche, voire les citoyens eux-mêmes ne sont plus les seules sources de données. L’explosion des “objets” connectés en tous genres – montres, voitures, capteurs de données environnementales ou industrielles, assistants vocaux, etc. – représente à la fois un nouveau défi et une manne de nouvelles opportunités pour le “territoire intelligent”.

 

La nécessité de mettre en place une politique publique de la donnée

Depuis quelques années, l’actualité met les données au-devant de la scène. Leur volume explose en raison du développement des technologies numériques, de la multiplication des outils technologiques et de l’inflation des usages numériques. On parle de « big data », d’« open data » ou de « smart data ».

Mais même si les technologies et leur évolution exponentielle, ainsi que les données sur lesquelles elles reposent, participent à la construction d’un territoire dit « intelligent », rendre une ville Smart nécessite plus que de la technologie ! Cette dernière reste un outil permettant de transformer nos territoires, de participer au développement économique et sociétal local, pour le bénéfice des entreprises et des citoyens.

Si la donnée est ainsi au cœur des nouveaux enjeux des territoires, il ne s’agit pas d’un sujet en soi, complètement isolé du reste. Au contraire, elle s’inscrit dans le cadre plus global d’une politique publique tournée autour du citoyen et du développement économique d’un territoire. Or, les enjeux liés à la donnée publique ne se limitent pas à son ouverture et nécessitent la mise en œuvre d’une gouvernance et la conception d’une véritable planification stratégique, intégrée et globale.

 

Mais finalement, qu’est-ce qu’une donnée et à quoi sert-elle ?

La donnée est un élément brut, qui n’a pas encore été interprété, mis en contexte.

Elle peut revêtir différentes formes : note, post-it, relevé de capteurs, photo, formulaire de saisie, rapport, coordonnée GPS, carte, vidéo, … Elle est numérique lorsqu’elle est lue et traitée par un support informatique. Elle peut être fermée, partagée entre un nombre limité de personnes, ou totalement ouverte.

Les données sont « publiques » lorsqu’elles sont produites, collectées ou reçues par l’Etat, une collectivité territoriale, un organe parapublic ou un délégataire dans le cadre de ses activités de service public.

Aujourd’hui promue par l’Union Européenne et par de nombreux Etats et collectivités, l’ouverture des données répond à un enjeu d’accès à l’information pour les citoyens et les professionnels, de développement de nouveaux services, de transparence démocratique et d’implication des citoyens dans la conception des services (co-développement), de transversalité dans les services publics. L’ouverture des données est ainsi un élément essentiel d’une politique de la donnée publique pour les communes.

 

Quels sont les enjeux de la donnée pour les communes ?

La donnée est encore perçue par les décideurs locaux comme un domaine technique limité à l’informatique et quelque peu ésotérique. Pourtant, la construction d’un territoire Smart nécessite de se pencher sur ces données, aujourd’hui au cœur de la constitution d’un nouveau patrimoine, le patrimoine immatériel, véritable jumeau du patrimoine physique. Et les enjeux sont considérables pour les collectivités : conception de nouveaux services, propriété de la donnée, collaboration ou non avec les grands acteurs du numérique, souveraineté territoriale, … Loin d’être un domaine purement technique, la donnée publique impacte directement les politiques publiques et l’offre de services des territoires. Bien gérée, elle est même source de développement économique et sociétal local, pour le bénéfice des entreprises et des citoyens.

Cet enjeu, stratégique, organisationnel, technologique et bien entendu économique, est au cœur du développement et de la transformation future des territoires, quelle que soit leur taille.

La donnée a une valeur, qui peut être interprétée à l’égard d’un actif stratégique. Elle devient une source précieuse, puisque rare, à pouvoir être exploitée. Attention toutefois à ne pas en surestimer l’importance. En effet, les données ne remplacent pas les services, mais contribuent à leur conception et à leur exploitation. Elles demeurent fragiles et inutilisables si elles ne sont pas rafraîchies ou supportées par des systèmes techniques et une infrastructure performants.

Enfin, la donnée n’a de valeur que si l’on met en place une véritable gouvernance autour d’elle. En effet, derrière l’ouverture des données se cachent des sujets de transformation en profondeur de l’administration. On va casser certains silos, impliquer les citoyens, être plus transparents, établir des partenariats, faire de la coproduction avec les citoyens, … Tout cela ne se fait pas du jour au lendemain, le processus est long, mais réalisable … à condition de ne pas être improvisé ! A contrario, sans gouvernance de ses données, les risques sont grands de développer des problèmes d’interopérabilité, de disposer d’informations incomplètes, d’offrir des services peu efficients, de faire face à des surcoûts ou de ne pouvoir prendre les bonnes décisions au bon moment.

A Toronto, chaque trajet Uber est taxé 0,30$. Pour collecter la taxe, la ville récupère toutes les données d’Uber. Elle peut dès lors utiliser ces données (80 000 000 de trajets) pour planifier les transports urbains.

Comment mettre en œuvre une politique publique de la donnée pour ma commune ?

Il n’y a pas de réponse universelle à cette question : chaque commune est différente, avec ses propres ambitions, ses propres moyens et ses propres réalités locales. S’il n’est pas possible de donner une feuille de route unique et parfaite pour toutes les communes wallonnes, il est toutefois possible de donner des pistes afin que chaque commune puisse établir sa propre feuille de route sur base de ses spécificités.

Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une démarche transversale (technique, juridique, organisationnelle et communicationnelle), collaborative et évolutive (à construire avec l’ensemble des parties prenantes, internes et externes, de manière itérative et dans le temps), qui doit s’inscrire dans l’élaboration de la stratégie territoriale vers le digital.

Nous proposons ensuite de suivre 6 étapes clés pour engager sa commune dans une politique publique autour de la donnée :

  • Initialiser et faire valider la démarche : sensibiliser les décideurs publics et officialiser le lancement de l’initiative par une décision (adoption d’une délibération de principe). L’implication des élus comme animateurs du territoire est une condition du succès du projet !
  • Définir la stratégie d’ouverture : clarifier les orientations et aligner les intentions. Quels sont les enjeux et les bénéfices recherchés ? Quelles sont les données à ouvrir ? Comment mettre à disposition les données ?
  • Organiser la démarche en mode projet : affecter les moyens humains, techniques, financiers et organisationnels au projet. Ne pas oublier d’accompagner l’ensemble des acteurs internes à la commune et externes pour les sensibiliser à la culture et au management de la donnée.
  • Recenser, préparer et publier les données : réaliser un inventaire des données et définir le périmètre des données à ouvrir, contrôler la qualité, consolider les données dans des formats ouverts et les anonymiser si nécessaire, documenter les données pour faciliter leur compréhension et leur usage en renseignant les métadonnées, publier les données sur la plateforme prévue dans le cadre de la stratégie d’ouverture et assurer leur mise à jour en fonction de la fréquence établie.
  • Favoriser la réutilisation des données : mettre en place un processus d’animation, tant en interne qu’en externe, pour favoriser la réutilisation. Cela passe par de la sensibilisation, un accompagnement méthodologique, pouvoir montrer à quoi servent les données, …
  • Fluidifier et faire évoluer les processus : passer en revue et améliorer les processus permettant de produire, de publier et de valoriser les données. Mais également développer de nouveaux services.

Pour aller plus loin, retrouvez les vidéos de l’atelier « Gouvernance de la donnée publique : Quels objectifs, quels enjeux, quels usages ? » organisé en juin 2019.

 

Mais, au fait, pourquoi ouvrir les données publiques ?

En “ouvrant” les données, en faisant des données publiques des open data, les acteurs publics ouvrent la voie à de nouveaux usages et services – imaginés et proposés par eux-mêmes ou par des tiers (privés ou publics).

L’exercice d’ouverture des données permet en outre, en amont, d’en vérifier et valider le contenu, la pertinence, la non-redondance (par rapport à diverses bases-sources) ou la qualité.

Exploiter des données ouvertes afin d’alimenter ou d’autoriser des services publics permet à une commune ou à un territoire de mieux desservir ceux qui y résident, dans une foultitude potentielle de cas d’usage. Citons par exemple :

  • une application de suivi et d’analyse de la qualité de l’air en zone urbaine qui facilite le calcul en temps réel des itinéraires permettant de réduire l’impact des déplacements sur la pollution, en tenant compte de données collectées en divers points et comparées avec les données de trafic, les particularités topologiques (pentes, feux rouges…)
  • une solution de gestion des déchets qui renseigne en temps réel les citoyens sur les taux de remplissage des stations de collecte installées en divers points du territoire
  • une application informant des possibilités de parking en voirie, de quoi rendre la recherche d’une place plus efficace, réduisant ainsi la densité de circulation, le taux de pollution ; la réutilisation des données d’une telle appli peut permettre à d’autres acteurs d’imaginer des services complémentaires
  • une application affichant en temps réel le taux d’affluence dans certaines structures (sportives, culturelles…) d’une ville ou commune, permettant non seulement de faciliter la vie des citoyens (décisions plus pertinentes) mais aussi de mieux orchestrer la fourniture de services logistiques ou autres pour ces diverses activités.

 

Vers qui les communes peuvent-elles se tourner pour mettre en place une politique de gouvernance de leurs données ?

Les communes ne sont évidemment pas seules pour réfléchir à la mise en place de leur politique publique de la donnée. A côté des services qui peuvent leur être offerts par le secteur privé ou, dans certains cas, par leur intercommunale de développement économique, il existe toute une série d’outils développés par les acteurs publics ou assimilés en Wallonie, dont FuturoCité. Voici quelques exemples d’animations, d’événements ou de ressources visant à sensibiliser les villes et communes, à opérationnaliser leurs démarches ou à valoriser les données publiques du territoire :

  • Le Tome 3 du Guide pratique du Smart City Institute intitulé « Nos territoires face aux données et à leur gouvernance », rédigé avec l’aide de Digital Wallonia et de FuturoCité
  • Les ateliers de FuturoCité visant à initier une démarche de récolte, d’ouverture et d’exploitation des données par les villes et communes wallonnes. Des ateliers pour décideurs publics ont eu lieu en juin dernier, un cycle de formations pratiques à l’Open Data a débuté en décembre.
  • FuturoCité a publié en 2018 un baromètre de la Culture de la donnée dans les villes et communes wallonnes. Un nouveau baromètre similaire est prévu en 2020.
  • Le portail Open Data ODWB est à disposition des villes et communes wallonnes qui ne souhaiteraient pas investir dans leur propre plateforme de publication de données ouvertes.
  • Enfin, FuturoCité organise des événements créatifs dont le but est de stimuler la création et l’innovation dans les thématiques prioritaires Smart Région, en se focalisant sur l’activation des données publiques et la création de micro-services. A côté du traditionnel hackathon Citizens of Wallonia (prochaine édition : du 6 au 8 mars 2020), FuturoCité va mettre en place, cette année, un nouveau programme (Hack your City) dont l’objectif est d’accompagner les villes et communes dans la mise sur pied de projets innovants centrés sur les données publiques.

 

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