La mobilité repensée dans le monde d’après

L’après-crise, soit. Mais quelle transition ?

La crise du coronavirus a aussi eu des effets latéraux et transversaux inattendus quoique logiques. Les règles de distanciation sociale, la perturbation dans les services publics de transport, la crainte de contaminations ont par exemple donné un coup de fouet au vélo et à la multi-modalité. Les apôtres de la transition durable ne peuvent que s’en réjouir. La mobilité, dans une certaine mesure, a été repensée et présage d’usages nouveaux pouvant se pérenniser.
Les territoires ont la possibilité de s’approprier cette nouvelle réalité, en s’appuyant notamment sur des initiatives et des solutions numériques, avec une exploitation judicieuse des données pour mieux planifier et organiser l’aménagement du territoire ou de l’espace public.

L’efficacité avec laquelle la transition en matière de mobilité pourra s’opérer dépendra de l’aptitude qu’auront les instances locales ou régionales à surmonter une série d’obstacles, tant organisationnels, financiers que comportementaux. Dans chacun de ces registres, une gestion efficace des données peut apporter des réponses efficaces, soulignait Audrey Lebas, chercheuse au Smart City Institute.
L’autorité locale peut par exemple fournir et gérer des informations sur les endroits où les usagers peuvent trouver les véhicules autonomes – des bus par exemple, pour les transports de type premier et dernier kilomètre.

Audrey Lebas (Smart City Institute) : “Les données sont importantes dans de nombreux aspects de la transition. Mais elles doivent surtout être gérées et valorisées minutieusement, de manière responsable, par les acteurs locaux.”

“La centralisation des données de mobilité multimodale que permet le concept de “mobility as a service” facilite la vie des individus, allégeant l’effort cognitif qu’ils doivent produire pour savoir quel moyen utiliser et comment le payer. Une seule application, désormais, peut remplacer l’éparpillement des cartes, billets et autres modes de consommation des transports.”
De même, une information précise peut permettre d’améliorer la perception que l’on a des divers moyens de transport (prix, accessibilité, sécurité, fréquence, facilité de correspondances, qualité d’expérience utilisateur…). D’un point de vue collectif, la perception peut aussi être améliorée grâce à un usage judicieux des données. Il est par exemple possible d’influencer positivement la fréquence d’utilisation que l’on fait des nouveaux modes de mobilité en générant, sur base des données d’usage, des récompenses pour ceux et celles qui privilégient des modes de transport plus verts.

Des données qu’on ne soupçonne même pas…

Toutefois, la “nouvelle mobilité” pourrait fort bien déboucher sur autant de frustrations et de déceptions que celles qu’ont engendrées les modes de transports traditionnels. Si elle évolue de manière débridée, toute cohérence sera absente et l’utilisation des nouveaux modes de mobilité ne sera pas “gouvernable”.
Autrement dit, la nouvelle mobilité oui ! Mais pas sans l’intelligence des données. Des données souvent méconnues et non exploitées.

Geovelo est une application mobile de gestion des déplacements des cyclistes, née en France, qui vise non seulement à sécuriser l’usage au quotidien de la petite reine mais aussi à fournir une foule d’informations et de services aux usagers et aux collectivités locales.
Les données collectées par les utilisateurs peuvent par exemple être fournies aux différentes localités afin qu’elles aménagent mieux l’espace public ou proposent de nouveaux services : pistes cyclables, points d’eau, parkings pour vélos, promotion des parcours verts ou touristiques…

Grâce à des outils de géolocalisation et aux données générées par l’accéléromètre du smartphone, le catalogue d’informations que Geovelo est capable de répertorier et d’analyser est aussi riche que varié.
Les données récoltées, transformées en cartes de chaleur (heat maps), permettent par exemple d’analyser les déplacements et les flux de cyclistes sur certains axes – de quoi mieux décider des aménagements nécessaires, déterminer la provenance et les destinations des usagers, ou encore évaluer le succès de l’ouverture d’une nouvelle piste cyclable.
L’analyse des temps de parcours ou de la vitesse de déplacement sur certains tronçons (grâce à l’accéléromètre) permet de tirer certaines conclusions sur… l’état de la voirie. “Les zones d’accélération et de décélération peuvent par exemple permettre de repérer des passages en pavé, des chaussées dégradées, des zones accidentogènes” et déboucher sur une intervention des travaux publics, souligne Antoine Laporte Weywada, directeur du développement commercial chez Geovelo. “Du benchmarking par analyse des temps d’arrêt par minute peut être un bon indicateur du degré de cyclabilité d’une ville par rapport à une autre. Idem pour les comparaisons des temps de parcours et vitesses moyennes par quartier…”

Tous unis pour cartographier l’espace urbain

Un autre invité du séminaire de FuturoCité était Alexandre Mussche, co-fondateur de l’agence française de design de la politique publique Vraiment Vraiment, également active en Belgique.
Lui aussi a parlé de mobilité nouvelle et du rôle des données dans la gestion des usages privés et publics. Ce que la crise du Covid-19 a mis notamment en lumière, c’est le biais majeur dont a historiquement pu bénéficier la voiture quand il s’agit d’évaluer la composition et le comportement des flux urbains. Vélos, moyens alternatifs, piétons n’ont jamais eu droit au même degré d’attention en termes de d’analyse de l’occupation de l’espace public. L’angle d’analyse, par ailleurs, est systématiquement axé sur la “performance”, le comptage statistique (véhicule, densité, temps de parcours…) sans ouvrir la vision à la dimension de qualité de mobilité, en ce compris dans sa composante de liberté et de sécurité de déplacement pour toutes les parties prenantes.

Comme lors de l’intervention qu’avait faite Alexandre Mussche à l’occasion de l’édition 2019 du séminaire Smart Gouvernance, il a, cette fois encore, souligné un autre déséquilibre, source de risque pour les autorités et acteurs locaux. A savoir, l’omnipotence et le quasi-monopole dont bénéficient et abusent souvent des acteurs tels que Google. “C’est quasi le seul acteur à disposer de toutes les données de mobilité, de fréquentation de l’espace urbain. La société a d’ailleurs annoncé que Google Maps serait bientôt en mesure d’indiquer le taux de fréquentation des lieux publics, des sites touristiques, des plages… L’enjeu est et reste la souveraineté des données.”

Alexandre Mussche (Vraiment Vraiment): “L’enjeu est et reste la souveraineté des données mais la société civile se réapproprie progressivement le débat grâce à des initiatives d’acteurs locaux.”

Divers développements, toutefois, sont synonymes d’espoir. Des acteurs locaux, l’open data et des solutions, par exemple, de comptage appliquées à la nouvelle mobilité permettent “à la société civile de se réapproprier le débat. Cela a pour effet de faire bouger le politique.”
Il citait en exemple la solution déployée à Paris par OpenDataSoft pour le comptage des vélos et le Bike Data Project d’OpenKnowledge Belgium, qui vise à agréger les données de cyclistes, puisées dans diverses applications mobiles ou sources, afin d’alimenter une plate-forme centralisée d’“open bike data” permettant aux collectivités locales de mieux documenter les usages réels et de procéder aux aménagements nécessaires.
Ou encore l’installation à Hal de capteurs – chez les particuliers ou les commerçants – qui, par analyse d’image, “mesurent de manière plus granulaire la répartition des divers moyens de transports dans les rues. La société civile participe, s’intéresse à la part modale dans la mobilité, comprend mieux les flux, leur impact sur la société. Il y a là une sorte de maturité nouvelle à comprendre et à réutiliser [les données].
La société civile contribue ainsi à compléter et à croiser des données enrichissant la compréhension et les actions.”

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Pour accéder aux programmes, comptes-rendu et contenus de toutes les éditions:

Séminaire Smart Governance 2022: Gouverner son territoire à l’ère du numérique
Séminaire Smart Governance 2021: La valorisation de l’information, pierre angulaire de la ville intelligente
Séminaire Smart Governance 2019: Gouverner ses données pour mieux gouverner son territoire
Séminaire Smart Governance 2018: La puissance de la donnée au service des territoires
Séminaire Smart Governance 2017: Comment mieux intéragir avec les citoyens